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Syndicat Force Ouvrière-EPSM Val de Lys-Artois
15 juin 2014

Propos tenus sur les réseaux sociaux

Le Point.fr - Publié le 03/02/2014 à 07:00 - Modifié le 03/02/2014 à 10:31
Propos injurieux, dénigrants ou moqueurs sur un réseau
social : quand la liberté d'expression conduit au
licenciement

Jusqu'où la liberté de blâmer peut-elle s'exprimer sur les réseaux sociaux ? Que risque le salarié qui abuse de son droit de critique ? Échantillons de prétoire.

Facebook fête son 10e anniversaire. Certains de ses membres sont loin de s'en réjouir. Ils regrettent plutôt d'avoir cédé à la tentation de s'être un peu trop épanchés sur leur "mur". Ceux-là mêmes qui, accoudés au comptoir numérique des réseaux sociaux, ont laissé filtrer leur amertume et réglé leurs comptes, oubliant que la Toile est aussi, à ses heures, un lieu d'incitation à la délation... par ses propres "amis".

"Incitation à la rébellion"

On se souvient de la célèbre affaire "Alten", qui avait ouvert le bal jurisprudentiel en 2010. Trois salariés avaient confié sur le "mur" Facebook de l'un d'entre eux qu'ils souscrivaient au rituel du "club des néfastes" en référence à la pratique consistant à "se foutre de la gueule de leur supérieure hiérarchique". La joyeuse bande avait fait fi de la réaction d'autres salariés, "amis d'amis" qui, choqués par les propos, ont fait une copie d'écran des échanges et les ont soumis à leur hiérarchie. Résultat : la cadre chargée du recrutement a été licenciée pour "incitation à la rébellion", "atteinte à l'autorité et à la réputation" et "dénigrement". Ce licenciement pour faute grave a été validé par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en novembre 2010. Mais, en 2012, la cour d'appel de Versailles a, pour un simple motif de procédure, infirmé le jugement. Elle a jugé que les salariés avaient déjà été sanctionnés par une mise à pied disciplinaire, ce qui empêchait l'employeur de les congédier pour les mêmes faits. La question de la légitimité de la faute n'a donc pas été débattue.

Moralité. L'abus de médisance a sa contrepartie : la responsabilité. Le salarié qui franchit la ligne rouge risque d'être licencié et même condamné à titre personnel sur la base de différents motifs : diffamation, dénigrement, injure, déloyauté, violation de la confidentialité, atteinte à l'image, abus du droit de critique, etc.

Injure et "moquerie"

Un "conseiller client" du centre d'appels Webhelp de Caen avait été licencié et poursuivi pour injure publique devant le tribunal correctionnel de Paris. Il avait écrit sur sa page Facebook : "Journée de merde, temps de merde, boulot de merde, boîte de merde, chefs de merde" et "j'aime pas les petits chefaillons qui jouent au grand". Le prévenu a expliqué au tribunal correctionnel que ses propos étaient liés au suicide, la veille, d'une collègue syndicale. En vain. Le tribunal a relevé le caractère "outrageant", "insultant" et "vexatoire" de tels écarts verbaux visant la direction de l'entreprise et la supérieure hiérarchique, parfaitement identifiables. Le salarié, qui n'avait jamais été condamné, s'en est tiré avec une amende de 500 euros avec sursis (décision du 17 janvier 2012).

Autre cas, jugé cette fois au civil, celui d'un salarié travaillant dans un établissement public de coopération culturelle. Il avait été licencié pour avoir publié sur sa page Facebook la photo d'un roi obèse avec des béquilles, agrémentée du commentaire : "Il me rappelle sérieusement une directrice que j'ai bien connue." La sienne s'était quelque temps plus tôt cassé la jambe et se déplaçait avec des béquilles... La cour d'appel d'Orléans a constaté que ce commentaire était resté en ligne "plusieurs mois sur le site de Facebook, à la disposition de ceux qui pouvaient le consulter et notamment des salariés". Et jugé que cette "moquerie" sur un espace public était non seulement "inadmissible de la part de tout subordonné", mais aussi "attentatoire au respect dû à toute personne". Pour cette raison notamment, la cause réelle et sérieuse du licenciement a été validée (décision du 28 février 2013).

Déloyauté

D'une manière générale "il est rare que les employeurs agissent sur le terrain de l'injure ou de la diffamation, même si la jurisprudence considère que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté d'expression ne leur est pas opposable. La déloyauté ou l'atteinte à l'image de l'entreprise sont en revanche plus souvent invoquées à l'appui d'une décision de licenciement. Si le salarié concerné est lié par une obligation de réserve et/ou de confidentialité, sa violation peut aussi lui être reprochée", précise Anne Cousin, avocate associée du cabinet Granrut, spécialiste du droit de l'Internet.

Ainsi, en octobre 2011, le conseil de prud'hommes de Guingamp condamnait un salarié pour déloyauté envers son employeur. Il avait, pendant son préavis, organisé une campagne de dénigrement via un profil Facebook intitulé "Contre la mise à mort d'un salarié". Son contenu injurieux était diffusé sur plusieurs forums de discussion. Le salarié avait aussi créé l'adresse tamertume@voila.fr de laquelle il envoyait des mails à des dirigeants du groupe et à tout le réseau professionnel de son employeur. Les conseillers prud'homaux ont évalué le préjudice d'atteinte à l'image et à la réputation du dirigeant à 15 000 euros. "Cette condamnation tient compte notamment du fait que l'entreprise allait devoir débourser une somme assez importante pour tenter d'effacer les propos désobligeants sur les moteurs de recherche", décrypte Cécile Martin, avocate spécialiste de droit social et protection des données personnelles au cabinet Proskauer.

"Communauté d'intérêt"

La vie privée du salarié peut-elle lui être d'un quelconque secours ? Ce qui délimite la frontière entre l'"espace privé", protégé du joug judiciaire, et l'"espace public", qui expose l'utilisateur à des sanctions, c'est le paramétrage du compte. Ainsi, dans une affaire où le salarié avait reconnu avoir posté le message suivant sur le réseau Facebook : "J'en ai marre de travailler avec des faux-culs", la cour d'appel de Rouen a considéré qu'il ne pouvait s'abriter derrière le prétendu caractère confidentiel de ses propos, tenus sur le mur public du réseau social accessible à tous. Ce dénigrement opéré sur un réseau social n'est pas anodin et justifie donc le licenciement du salarié pour cause réelle et sérieuse (décision du 14 mai 2013).

À l'inverse, la gérante d'une société n'a pas réussi à faire condamner pour "injure publique" une ancienne salariée qui avait créé un groupe de discussion sous la bannière "extermination des directrices chieuses" et notamment suggéré de faire voter une loi pour "éliminer les patrons et surtout les patronnes (mal baisées) qui nous pourrissent la vie". La Cour d'appel, suivie par la Cour de cassation, a estimé que "l'information était limitée aux seules personnes agréées [...] en nombre très restreint" et sélectionnées par "affinités amicales ou sociales". Celles-ci n'apparaissaient même pas dans le profil de l'utilisatrice, ce qui excluait la notion d'espace public. Confirmant cette décision, la Cour de cassation a estimé que de tels propos, "diffusés sur des comptes accessibles aux seules personnes agréées par l'intéressée", "en nombre très restreint, formant une communauté d'intérêt", ne constituaient pas des injures publiques (arrêt du 10 avril 2013). Ainsi, "le curseur entre le caractère public ou non du message, c'est la "communauté d'intérêt" qui peut être d'ordre familial, amical ou associatif, ainsi que le nombre des destinataires", résume Emmanuel Derieux, professeur de droit des médias à l'université Paris-II et auteur de Réseaux sociaux en ligne : aspects juridiques et déontologiques*.

Paramétrage

Peut-on néanmoins faire confiance à l'outil de paramétrage du réseau social ? "À ce jour, deux conceptions opposées s'affrontent : celle des principaux réseaux sociaux qui ont tendance à nier les frontières, et celle d'une législation qui tend à protéger les utilisateurs et favoriser la confidentialité", note l'avocat David Forest. Toutefois, précise l'avocat, "le paramétrage à des fins de protection de la vie privée est aujourd'hui encouragé par la Commission européenne dans la perspective de l'adoption du futur règlement qui va modifier en profondeur l'architecture de la protection des données personnelles. Encore faut-il que la politique des acteurs suive le pas !"

Reste à savoir si le rempart de la "vie privée" donne pour autant un blanc-seing à la liberté d'expression du salarié. "Ce n'est pas parce qu'un salarié se protège derrière un mur privé qu'il peut violer ses obligations de loyauté, de confidentialité, etc. D'ailleurs, l'injure non publique est aussi sanctionnée pénalement", rappelle Claire Toumieux, associée en droit social au cabinet Allen & Overy.

Les copies d'écran ne prouvent rien

De son côté, l'employeur doit aussi faire preuve de loyauté en recueillant les preuves qui appuieront son action. D'autant que "s'il veut licencier le salarié pour faute grave ou lourde, c'est sur lui que repose la charge de la preuve", précise Me Toumieux. "Naturellement, il ne faut pas être dans une situation qui laisse penser qu'on a cherché à piéger le salarié", prévient l'avocate. Donc, pas question pour l'employeur d'employer un détective qui se fera passer pour un "ami" du salarié.

Par ailleurs, prétendre que les messages aient été lus par plusieurs personnes ne suffit pas à établir son droit. Exemple : une salariée avait, sur son mur Facebook, invité ses collègues à "cracher [leur] haine sur certaines poufs de LECLERC et contre LECLERC tout court. [...] Marre de cette ambiance de merde, des pétasses qui parlent sur notre gueule sans cesse, de tout le temps faire les fermetures et d'être traités comme des chiens, fait chier LECLERC", avait-elle ajouté. Le conseil de prud'hommes a validé le licenciement pour faute grave, mais son jugement a été infirmé par la cour d'appel de Rouen qui a considéré que le caractère public des propos ne se déduisait pas du fait que cinq autres salariées avaient participé aux échanges, ni même de ce que les propos échangés avaient été portés à la connaissance de l'employeur. Elle a donc jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et alloué à la salariée 1 200 euros de dommages et intérêts (décision du 15 novembre 2011).

Il ne suffit pas davantage de communiquer une copie d'écran d'une page Facebook pour prouver que le salarié a bien tenu les propos qui y figurent, a rappelé la cour d'appel d'Amiens le 21 mai 2013. Un salarié avait été licencié pour faute lourde sur la base de différents motifs. L'employeur lui reprochait notamment d'avoir sur sa page Facebook tenu des propos insultants contre lui et de s'être réjoui d'être parti en "vacances" alors qu'il était en arrêt maladie. La cour a rejeté le second grief, estimant que le salarié avait produit des arrêts maladie en bonne et due forme. Quant au premier, elle a jugé que les copies d'écran ne suffisaient pas à démontrer que le salarié était bien l'auteur des insultes. Les juges relèvent à cet égard que le compte Facebook concerné était celui d'une femme, même si celle-ci se déclarait être "en couple" avec l'intéressé. En l'espèce, le salarié sera néanmoins licencié pour faute grave, mais pour d'autres motifs. "Les employeurs ont donc intérêt à faire intervenir un huissier pour constater que les propos litigieux sont intervenus sur une page au nom du salarié, conseille Me Toumieux. L'identification certaine de l'auteur du compte après obtention de son adresse IP par voie d'ordonnance sur requête reste un parcours complexe".

* Collection Lamy Axe Droit, 2013

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