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Syndicat Force Ouvrière-EPSM Val de Lys-Artois
12 juin 2013

Santé au travail

Et si le médecin du travail s’occupait des agents malades ?
29 avril 2013
Par

 

Dr Doremus

 Un entretien exclusif du blog FO santé avec le Dr Benoît Dorémus- Médecin du travail (*)

 

« Est-ce bien l’objet de la médecine du travail d’aujourd’hui que de consacrer 90% de notre temps à examiner des gens bien portants ? » Ce sont vos mots. 

Alors docteur que faut-il faire ? 

Sortie de son contexte, cette formule, pour le moins lapidaire, nécessite quelques explications.   La pénurie de médecins du travail combinée à l’extraordinaire ascension du nombre des visites médicales à la demande des travailleurs en souffrance a obligé les médecins du travail à prioriser ce type d’examen, renonçant ainsi, par choix éthique, à des examens cliniques périodiques et systématiques. 90% d’examens cliniques de personnes en bonne santé ce n’est pas une estimation de la population des travailleurs bien portants. C’est un chiffrage approximatif de ce que serait l’activité clinique si la visite périodique obligatoire était appliquée prioritairement.

Plusieurs rapports officiels ont pointé avec justesse les limites des examens cliniques  périodiques obligatoires sanctionnés par un avis médical d’aptitude. Clairement cette médecine du travail-là n’est pas une médecine de prévention des risques mais bien une médecine de sélection à visée assurancielle. Des enseignements ont été heureusement tirés du traumatisme de l’amiante qui ont notamment permis de faire évoluer le rôle du médecin du travail vers plus de prévention collective en renforçant son activité de tiers temps, sa participation à des études épidémiologiques et surtout en imposant un rôle de conseil en  prévention primaire, c’est-à-dire avant toute atteinte physique ou mentale de la santé des personnes.

 

Pour vous quel est le rôle essentiel du médecin du travail dans cette période de pénurie qui s’annonce gravissime ?

Le médecin du travail est aujourd’hui tiraillé entre les deux rôles complémentaires qu’on lui fait jouer :

  • D’une part la prévention collective avec une nette orientation vers des problématiques de santé publique et,
  • D’autre part, un rôle de proximité des travailleurs avec une approche clinique de l’intimité des personnes.

L’écoute de la souffrance, ou du mal-être, et la compréhension des mécanismes qui en sont responsables, permet au médecin du travail de passer de la dimension individuelle de la santé à la dimension collective. Cette combinaison des aspects collectifs et individuels de la santé est clairement la plus-value de la présence du médecin dans le système de prévention des risques au travail en France. Je pense donc que le médecin du travail ne doit perdre ni l’une ni l’autre de ces approches, quelle que soit la gravité de la pénurie médicale. 

 

En d’autres termes, en ces temps particulièrement difficiles, le rôle essentiel du médecin du travail est de rester un médecin ! Cela tient évidemment du pléonasme, mais qui prend tout son sens lorsqu’on veut en faire aujourd’hui un « manager » ou encore le « chef d’orchestre » d’une équipe de santé au travail. Le médecin du travail doit pouvoir développer les qualités humanistes de sa profession et rester facilement accessible aux personnes qui en font la demande.

 

Vous dites que le DRH peut faire de la santé et que seul le médecin du travail peut faire de la médecine du travail : pouvez-vous préciser ?

La santé est classiquement décrite comme étant sous l’influence de déterminants biologiques, sociaux et environnementaux. Dans l’entreprise, la plupart de ces déterminants de santé sont sous la dépendance directe de non-médecins, les DRH donc, mais aussi les services responsables des bâtiments, de l’informatique, etc. En fait, la plupart des responsables de service dans l’entreprise détiennent le pouvoir d’influer en bien (ou en mal) sur la santé des personnes et sont, à ce titre, souvent sans même le savoir, des acteurs incontournables de la santé au travail. Mais aucun d’eux ne peut faire de la médecine du travail, seul le médecin du travail est en capacité et en droit de comprendre et d’évaluer la santé individuelle des personnes, d’établir ou de connaître le diagnostic de pathologie et d’apprécier les aménagements nécessaires du poste de travail au regard des incapacités ou des fragilités provoquées par la maladie, le handicap, la grossesse ou l’âge. 

 

Pensez-vous que le 1/3 temps puisse être confié à des ergonomes ou d’autres professionnels de la prévention ?

Le médecin du travail ne peut plus occuper le tiers de son temps à faire des études ergonomiques, des relevés métrologiques et que sais-je encore. Mais il faut se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps, ces activités s’imposaient aux médecins du travail consciencieux.  Mais attention, le médecin du travail ne doit pas être relégué dans un cabinet médical la semaine durant. Il est en effet absolument indispensable qu’il soit physiquement présent sur les lieux de travail, dans les ateliers, dans les bureaux. Il doit être un observateur des conditions de travail, utiliser tous ses sens pour comprendre l’environnement de travail, échanger avec les travailleurs et l’encadrement sur les lieux mêmes du travail. Il doit aussi être prescripteur de mesures et d’études qu’effectueront les  ingénieurs et techniciens de la prévention,  comme un médecin généraliste qui demande des examens complémentaires pour poser un diagnostic et proposer un traitement.  

Au final, les savoirs des préventeurs techniques et le savoir médical doivent se croiser et conduire à des propositions d’amélioration des conditions de travail. Mais au préalable, il est indispensable de garantir l’indépendance technique et la protection des contrats de travail de ces deux types d’acteurs.     

 

Que pensez-vous des relations existantes entre le médecin du travail et le CHSCT ?

Le CHSCT devrait être un lieu d’échange et de réflexion sur la santé et les conditions de travail entre l’employeur et des représentants du personnel, le médecin apportant son expertise sur l’état de santé des collectifs de travail et conseillant  au besoin sur les mesures à prendre. Mais la réalité est souvent très différente de cette vision idyllique et pour caricaturer à peine : le CHSCT est le plus souvent soit une chambre d’enregistrement de décision patronale, soit un terrain d’affrontement sur des questions de sécurité.  Dans la première situation le médecin se demande pourquoi on tient tant à sa présence ? Dans la deuxième, il se fait le plus petit possible pendant les échanges, redoutant la question pourtant inéluctable  « et qu’en pensez-vous docteur ? », qui fait de lui l’arbitre du conflit.

 

Propos recueillis par Denis Garnier

pour le blog FO-santé, le 17 avril 2013.

Les propos contenu dans cet entretien  n’engagent que son auteur

 

(*) Docteur Benoît DOREMUS

Médecin du travail, Docteur en droit, Chercheur associé dans l’UMR 6262 CNRS/Université de Rennes 1 – Thème de recherche actuel : « Les notions médico-légales du droit social » – Médecin coordinateur national d’une institution publique de recherche

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Article repris du BLOG DES HOSPITALIERS

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